Les modes de production et de consommation des pays du Nord mènent à une surconsommation de ressources, telles que les hydrocarbures, les métaux, l’eau ou encore le bois. L’accès aux biens naturels et aux ressources énergétiques à un moindre coût semble être devenu la priorité des États et des entreprises multinationales, qui veulent répondre à cette demande croissante, au prix de violations des droits des communautés et d’atteintes à l’environnement toujours plus graves.
Alors que la production de pétrole et de gaz conventionnel est en déclin, peu est fait pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Ainsi, en l’absence de politiques qui encouragent l’efficacité énergétique et l’utilisation de combustibles plus propres et non fossiles, les investissements dans les sources d’hydrocarbures « non conventionnelles » et plus polluantes – brut lourd, sables bitumineux, gaz et huiles de schiste –ne cessent d’augmenter.
Dans ce contexte, le mythe de l’énergie « bon marché et abondante » issue des gaz et pétrole de schiste, a donné lieu à une course effrénée des entreprises pétrolières pour exploiter ces gisements dans le monde entier, en dépit de lourds impacts sociaux, environnementaux et climatiques. La mobilisation citoyenne contre ces projets a permis le vote en France, en 2011, d’une loi interdisant le recours à la fracturation hydraulique, ce qui a eu notamment comme conséquence l’abrogation du permis de Total à Montélimar. Depuis, les compagnies françaises telles que Total et Perenco, multiplient leurs investissements dans ces hydrocarbures non conventionnels à l’étranger, notamment en Argentine.
Troisième pays mondial en termes de réserves potentiellement exploitables d’hydrocarbures non conventionnels, l’Argentine est devenue la destination rêvée des compagnies pétrolières. Suite à la découverte de larges réserves de gaz et huiles de schiste fin 2010, le gouvernement argentin a partiellement renationalisé la compagnie pétrolière YPF, et ouvert en parallèle les portes à des géants mondiaux du secteur : Total, Chevron, Shell, etc. Tant le gouvernement national que les gouvernements provinciaux soutiennent l’exploitation de ces hydrocarbures, qu’ils voient comme une nouvelle source de rente. Un décret national a ainsi été pris en juillet 2013, et un programme spécifique a été lancé par le gouvernement national pour encourager les investissements dans le secteur, accordant des concessions d’une durée de 35 ans, accompagnées d’un certain nombre d’avantages fiscaux, d’aides à l’exportation et de garantie des prix aux compagnies étrangères. Des accords spécifiques ont été signés avec certaines entreprises, dont Chevron et Total en 2013.
Ces dernières années, la mobilisation de la société civile n’a fait que croître, avec intimidations et répression comme unique réponse. À aucun moment, les populations n’ont été consultées, ni même les communautés indigènes mapuche sur les terres desquelles se trouvent plusieurs projets. Plusieurs de ces communautés subissent déjà les impacts sociaux et environnementaux de dizaines d’années d’exploitation pétrolière conventionnelle, et sont donc d’autant plus mobilisées face à cette expansion sur de nouveaux territoires jusqu’ici protégés, et avec des techniques de plus en plus invasives et destructrices. Une coalition « Multisectorial contre le fracking » s’est créée, rassemblant des communautés affectées, organisations sociales et syndicats. Par ailleurs, quinze gouvernements locaux dans cinq provinces différentes ont voté des ordonnances interdisant le recours à la fracturation hydraulique.
Deuxième opérateur gazier du pays, Total a extrait à lui seul 30% du gaz produit à Neuquén en 2013. Dès 2010, avant toutes les autres compagnies, Total acquiert des permis d’exploration de gaz de schiste, dans la province de Neuquén en Patagonie. Il en détient aujourd’hui 11. Rien ne semble freiner ses ambitions dans ce pays convoité : l’entreprise a annoncé, en octobre 2013, un investissement de 400 millions de dollars pour lancer deux projets pilotes de gaz de schiste sur son permis Aguada Pichana, dans la célèbre formation schisteuse de Vaca Muerta. Début 2014, après une rencontre avec la présidente argentine, en visite officielle à Paris, le PDG de Total a indiqué qu’ils allaient accélérer leurs investissements dans ce pays : « L’exploitation du gaz non conventionnel, c’est le pari de la prochaine décennie ! ».
Total détient aussi le permis très controversé de Pampa las Yeguas II, dans la réserve provinciale Auca Mahuida, site pourtant protégé pour sa faune (plus de 100 espèces, telles que le guanaco, le ñandu et le puma) et sa flore (dont 14 espèces endémiques). Les travailleurs de la réserve se sont prononcés contre l’adjudication de ce permis et l’utilisation de la fracturation hydraulique. Non seulement leur avis n’a pas été entendu, mais ils se retrouvent aujourd’hui menacés de sanction pour faute grave, pour avoir osé critiquer ce permis pétrolier, et demander des compléments d’informations à l’entreprise.