Argentine : paradis pour les gaz et huiles de schiste, enfer pour les populations

mai 13, 2014

Montreuil, le 13 mai 2014 – Alors qu’en France le débat sur les gaz et huiles de schiste n’est toujours pas complètement clos, l’exploitation de ces ressources fossiles non conventionnelles s’accélère dans le reste du monde, notamment en Argentine. Ce pays est en effet devenu le nouvel eldorado des multinationales pétrolières, à commencer par Total qui détient 11 permis, jusque dans une aire naturelle protégée [1]. Les Amis de la Terre France, Pays-Bas et Europe, et l’Observatorio Petrolero Sur publient aujourd’hui un nouveau rapport « Repousser les limites – la ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine » [2], et deux représentants argentins sont présents cette semaine à Paris pour demander des comptes à Total lors de son assemblée générale d’actionnaires [3]. L’occasion aussi d’interpeller le gouvernement français et lui demander de réformer d’urgence le cadre légal qui permet aux multinationales d’agir en toute impunité.

La Patagonie argentine, connue pour la beauté de ses paysages et ses étendues sauvages, est devenue la nouvelle proie des multinationales pétrolières, qui se disputent le nouveau « joyau » de l’industrie : la formation de Vaca Muerta, qui couvre 30 000 km2, et contient d’immenses réserves potentiellement exploitables d’hydrocarbures non conventionnels, au deuxième rang mondial pour le gaz et quatrième pour le pétrole. Total, présent en Argentine depuis 1978, et deuxième opérateur de gaz du pays, a acquis des permis dès 2010, avant toutes les autres compagnies. Aucune limite ne semble être valable pour ses ambitions puisque la compagnie a même commencé à forer dans une aire naturelle protégée.

Carolina Garcia, ingénieure en ressources naturelles et en environnement travaillant sur cette aire, et membre de la « Multisectorielle contre le fracking », témoigne des impacts dans sa province de Neuquén : « Nous nous sommes opposés à l’octroi du permis de Total sur l’aire protégée Auca Mahuida, mais le gouvernement provincial est passé outre notre avis technique. Le puits Pampa las Yeguas et les infrastructures qui y sont liées menacent cette réserve de biodiversité, notamment des espèces telles que le nandou choique, le condor, le guanaco ou le chat andin… Au-delà de cette aire, nous sommes mobilisés avec de nombreux habitants et communautés de la province, mais l’unique réponse des autorités est la répression et le déploiement d’une campagne de propagande pour soutenir l’industrie pétrolière  ».

Les populations locales sont difficilement dupes et peinent à croire en les promesses de progrès qu’est supposé apporter ce nouveau boom des gaz et huiles de schiste. En effet, après un siècle d’exploitation conventionnelle de gaz et pétrole, de nombreuses communautés souffrent déjà des lourds impacts sociaux et environnementaux de cette industrie, et les inégalités sociales et la pauvreté laissent plutôt apparaître une « malédiction des matières premières ».

Selon Diego di Risio de l’Observatorio Petrolero Sur, co-auteur du rapport : « Les compagnies pétrolières avancent à grande vitesse, sans que les populations locales n’aient jamais été consultées ni même informées. Le développement des hydrocarbures non conventionnels a lieu sur les terres de communautés mapuche et de petits paysans, entrant en concurrence avec l’élevage de petit bétail. Les entreprises agissent en toute impunité car il y a une absence totale de contrôle de la part des gouvernements national et provincial, qui, au contraire, ont déroulé le tapis rouge pour attirer ces nouveaux investissements ! ».

Ainsi, suite à un décret national et à des réformes légales au niveau provincial, de larges bénéfices ont été octroyés aux entreprises pétrolières : allongement de la durée des concessions à 35 ans, exemption d’impôts, augmentation du prix de vente du gaz, liquidation des devises à l’étranger, suppression des consultations publiques, etc. Par ailleurs, si l’entreprise YPF a été re-nationalisée au nom de la souveraineté énergétique, l’objectif principal est en réalité aussi le développement des gaz et huiles de schiste, et, malgré un lourd passif environnemental, l’expropriation de Repsol a finalement donné lieu à une indemnisation de 5 milliards de dollars.

Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre France conclut : « L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Argentine illustre tristement le double standard qui existe selon que les multinationales françaises agissent en France ou dans un pays du Sud. La loi française interdit le recours à la fracturation hydraulique au nom de la protection de la santé des populations et de l’environnement, mais le gouvernement français n’a rien fait pour freiner le développement de gaz et huiles de schiste en dehors de nos frontières. Il doit agir immédiatement, en reconnaissant d’une part la responsabilité légale des maisons-mères des multinationales sur les activités de leurs filiales et sous-traitants [4], et d’autre part en prenant des actions concrètes pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles ».

Les Amis de la Terre, l’Observatorio Petrolero Sur et la Multisectorielle contre le fracking à Neuquén demandent à Total, et autres compagnies pétrolières telles que Chevron ou Shell, d’abandonner immédiatement leurs projets de gaz et huiles de schiste en Argentine et ailleurs dans le monde.

Contacts presse :
• Caroline Prak, Les Amis de la Terre France : 06 86 41 53 43 / 09 72 43 92 65 – caroline.prak@amisdelaterre.org

Notes :
(1) Au travers de ses concessions couvrant 5 300 km2, Total contrôle 6 % du territoire de la province de Neuquén, alors que les aires naturelles protégées n’occupent que 2 % de ce territoire.

(2) Le rapport « Repousser les limites – la ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine » est disponible ici.
Il a été rédigé suite à des missions terrain et un travail d’investigation réalisée par l’Observatorio Petrolero Sur et les Amis de la Terre France. La synthèse publiée aujourd’hui contient une étude de cas sur Total, et le rapport complet, incluant des études de cas sur Chevron et Shell sera publié la semaine suivante.
Les Amis de la Terre France ont aussi produit un documentaire, Terres de schiste, qui sera présenté ce soir au Reflet Médicis. Pour plus d’informations : www.terresdeschiste.fr

(3) L’assemblée générale des actionnaires de Total aura lieu ce vendredi 16 mai 2014 à Paris. Les représentants argentins se rendront ensuite aux Pays-Bas (siège de Shell), en République Tchèque, Hongrie et Pologne, puis en Espagne.

(4) Une proposition de loi a été déposée par des députés en novembre 2013, mais n’a toujours pas été traitée. Un soutien concret du gouvernement reste attendu, notamment suite aux déclarations de Laurent Fabius à l’Assemblée nationale le 6 mai 2014.